Rita ☼ I'll heal eventually, but faster if you're next to me

Des hurlements de douleur se font entendre le mercredi 14 novembre 2001 à l’hôpital de Pipa, au Brésil. Une jeune maman de seize ans, seule et impuissante, donne les dernières poussées et une petite tête brune pointe le bout de son nez. Un seul coup d’œil à mes petits yeux pleins de curiosité ou à ma frimousse encore froissée suffira à Ana pour comprendre qu’elle ne pourra jamais se résoudre à abandonner son bébé. Alors qu’elle a pourtant promis de la faire adopter, la jeune maman prend la fuite jusqu’aux Etats-Unis avec seulement un sac de vêtements et sa petite fille dans les bras. Moi. C’est un trajet éprouvant, compliqué et effrayant pour la jeune fille que ma mère était. S’aventurer sans savoir ce qu’elle allait trouver ou ce qui l’attendait… Entre les douleurs d’un corps qui vient de vivre un réel traumatisme, le passage de bus en bus avec un nourrisson et la peur que ses parents – ou encore mon géniteur qui lui avait fait vivre un véritable cauchemar – la retrouve et la force à m’abandonner… ou pire !

Les souvenirs de ma mère biologique ne sont pas nombreux, mais les quelques fragments qu’il me reste sont heureux. Il est facile d’oublier les mots, les visages… mais jamais ce qu’une personne nous fait ressentir. Et quand je pense à Ana, je sens encore l’amour qu’elle avait pour moi. Le seul témoignage de cet amour qu’il me reste, c’est une photo d’elle et moi, alors que je ne suis encore qu’un bébé. Je la garde précieusement avec moi et la regarde de temps à autre. Elle respire l’amour et la souffrance. Celle d’une maman qui n’a pas choisi la vie qu’on lui a imposée.

A peine la frontière américaine franchie, les problèmes s’installent. Il faut dire qu’en prenant la fuite, Ana n’a pas réfléchi à un plan concret. Seulement à notre sécurité et à nous éloigner le plus rapidement possible d’un pays et de personnes dangereuses. Elle n’a pas non plus réfléchi à la barrière de la langue en débarquant dans un pays dont elle ne connaissait que quelques mots de la langue officielle. Elle n’a pas non plus réfléchi au fait qu’elle retrouverait sans famille, sans maison, sans travail… seule avec son bébé ; mais ça, c’était sans compter sur le fait qu’Ana était pleine de ressources et très débrouillarde. Elle retombe toujours sur ses pieds et c’est comme ça qu’elle fait la rencontre de Manuela, qui l’aide à trouver abri dans un refuge pour femmes près de la frontière mexicaine. Malgré son aide précieuse, obtenir un visa ou une Green Card s’avère plus difficile que prévu pour la jeune maman qui est forcée de travailler illégalement pour subvenir à mes besoins.

Evidemment, cette supercherie ne dure pas éternellement. C’est deux ans après ma naissance que ma mère biologique doit se rendre à l’évidence. Elle n’y arrive pas. Elle ne s’en sort pas. Ana s’est battue férocement jusqu’au bout pour avoir ma garde, mais ça ne suffit pas. C’est à l’aube de ses dix-huit ans qu’elle se résigne. Ou plutôt, que les services sociaux m’arrachent de ses bras et qu’elle est renvoyée au Brésil. Je ne reverrai plus jamais Ana et je ne sais pas ce qui lui est arrivé depuis. Ma mère biologique laisse derrière elle une petite fille de deux ans, orpheline, qui commence à peine à parler un mélange d’anglais et de portugais, l’avenir devant elle. Mais quel avenir ?

Le mois qui suit, je suis placée en foyer d’accueil près de Los Angeles, le temps qu’on me trouve une vraie famille d’accueil. Mais qui se serait douté qu’il faudrait plus de deux ans pour la trouver ? Le foyer, autant dire que c’est le genre d’endroits qu’il est préférable d’oublier.
Haute comme trois pommes, je me souviens encore des atrocités que les autres enfants ont pu me faire subir. Entre insultes racistes des plus grands –  à cause de la couleur de ma peau ou bien le fait que mon nom de famille ne résonne pas comme le leurs… – à des  moqueries, bagarres, morsures, crachats dans la nourriture des plus petits… les enfants n’épargnent personne et certains peuvent se montrer cruels. Surtout ceux qui ont déjà tout perdu et qui ont une immense rage au fond d’eux. Je me suis vite effacée, mise à l’écart et eu l’habitude de ne pas faire de bruit ou de me mettre dans un coin pour qu’on m’oublie. Pour qu’on oublie mon existence et qu’on me laisse tranquille. Ça me suivra toute ma vie, ce sentiment que je ne mérite pas d’être aimée. Au total, j’ai passé vingt-six mois là-bas.

L’année de mes quatre ans, on me trouve enfin une famille. Un couple qui s’aime et qui n’arrive pas à avoir d’enfants et qui ont alors transformé leur maison en véritable famille d’accueil. Une famille qui a voulu faire la différence et qui recueille beaucoup d’enfants comme moi. Il y a toujours de l’animation et du bruit chez les Pearson. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait le plus peur en mettant les pieds dans cette jolie maison retapée en bord de mer. Me retrouver avec autant d’enfants sous un même toit après avoir vécu l’enfer pendant deux ans… c’est dur ! Je me souviens avoir gardé l’habitude de m’effacer aussi au début, jusqu’à ce que je comprenne que les Pearson seraient ma première et dernière famille. Ma méfiance s’est envolée le jour où j’ai compris que j’étais en sécurité dans ce foyer chaleureux qui était désormais mon chez-moi. MA maison. Et je le dois en partie à Meredith, ma sœur adoptive, qui m’a montré à quel point cette famille pouvait être aimante.

Et il faut dire qu’on ne s’ennuie jamais dans cette grande famille recomposée qui respire la bienveillance. Dans cette maison vivante, il y a toujours du monde, toujours de l’animation, toujours de l’ambiance et c’est un réel changement pour moi. Moi qui avais l’habitude de me mettre dans un coin. Je crois que c’est pour cette raison que j’aime passer autant de temps dehors… pour me retrouver un peu seule et me ressourcer. Et puis, comment ne pas profiter de l’extérieur quand on vit dans un cadre pareil, avec l’océan à quelques minutes à pied de la maison.
Avec autant d’enfants sous le même toit, les règles rythment notre quotidien. Nos parents sont ancrés sur les règles, comme dans n’importe quelle maison, mais ça me fait du bien d’avoir une véritable structure. C’est rassurant. Bien plus que ce que j’ai connu auparavant.

C’est l’année de mes six ans que mes parents adoptifs décident d’adopter quatre enfants, et j’en fais partie. Un grand jour pour la famille Pearson qui va s’agrandir pour toujours. C’est la première fois de ma vie que je me sens choisie, aimée. Voulue, finalement. Je suis tellement reconnaissante qu’ils soient entrés dans ma vie. Comme mes frères et sœurs. Je ne compte plus le nombre d’heure que j’ai passé à papoter avec Meredith, à rigoler, à se chamailler malgré notre différence d’âge… ou encore les moments à grimper aux arbres dans le jardin avec Connor, à s’amuser à l’arcade de la ville ou à faire des balades en moto plus grands. Même si le début de ma vie a été de véritables montagnes russes, les Pearson m’ont offert une vie que je ne pensais pas avoir un jour. Une vie que ma mère biologique n’aurait jamais pu m’offrir ou penser m’offrir.

Une fois mon adoption actée, je semble trouver un nouvel équilibre du haut de mes six ans. J’aime vivre dans un grand foyer avec mes frères et sœurs adoptifs ou les enfants seulement de passage. Une enfance atypique, mais qui me ressemble bien finalement. Nos parents se sont toujours donnés les moyens de nous rendre heureux, même s’ils ne roulent pas sur l’or non plus et qu’avoir autant d’enfants à la charge demande une organisation budgétaire. Je me souviens les avoir supplier une année entière avant qu’ils acceptent de m’envoyer passer l’été dans un camp de vacances spécial aventures. Je ne me suis jamais autant amusée que cet été-là, à quelques kilomètres d’Hilton. Un véritable paradis pour le petit garçon manqué que j’étais. J’ai fait de jolies rencontres là-bas, notamment celle de Charlie. Une p’tite tête blonde qui aime autant l’aventure, les bêtises et la rigolade que moi !

Les Pearson m’offrent un reste d’enfance et un début d’adolescence normale, et ça fait du bien. Je peux grandir comme un enfant de mon âge, je peux me créer des souvenirs avec mes frères et mes sœurs et surtout, je peux m’appliquer à l’école. Je ne dirais pas que je suis une intello, mais j’aime apprendre. En particulier tout ce qui se rapproche de l’océan, qui me fascine au plus haut point. Quand je ne grimpe pas dans les arbres, je passe le plus clair de mon temps dedans. Peut-être étais-je une sirène dans une vie antérieure, ou bien un poisson… mais je me sens bien dans l’eau. C’est mon élément. Je ne compte plus le nombre d’heures que j’ai passé à ramasser les coquillages – des jolis, ceux avec une forme bizarre, des colorés, des troués avec le sel… – des étoiles de mer, du sable… il fallait parfois que ma mère vienne me traîner de la plage pour rentrer à la maison. Mon activité préférée reste tout de même la pêche. Oui, mais pas n’importe quelle pêche. Celle qui me permet de passer du temps avec mon père. Celui qui m’a tout appris. De comment placer un hameçon, éviter que les poissons ne voient mon ombre, à la conduite de bateaux. Papa avait un petit bateau de pêche familial et il me laissait même le conduire lors de nos balades matinales dans les profondeurs de l’océan. Trouver les coins abondants, revenir bredouilles ou avec un festin… nous avions de quoi passer une bonne journée ! Et c’était notre activité à tous les deux. J’ai toujours regardé l’océan d’un œil curieux. Qu’est-ce qui se trouve là-dessous ? Pourquoi reste-t-il tant de phénomènes inexpliqués ? Je savais qu’un beau jour je répondrais à ces questions. Ou du moins, j’essayerai d’y répondre. J’ai vite compris que ce milieu-là était fait pour moi et que je ferai de ma passion, ma raison de vivre.

Quand on ne me trouve pas sur un bateau, ou une planche de surf ou de voile… c’est au port que je suis ! Dès que j’ai eu l’âge pour gagner un peu d’argent, je me suis mis à laver des bateaux sur le port, à faire les pleins de carburant, à remplir les bouteilles de plongée… enfin, tout ce qui pouvait rapporter et m’offrir un peu d’indépendance !
« Si tu crois que c’est comme ça que tu vas tenir » j’entends une voix moqueuse lors d’une énième chute. Je peste un peu contre moi, pourquoi la planche à voile n’est pas la même chose qu’une planche de surf ? Je m’assois sur la planche et tourne la tête vers un gars assis sur le petit port, les pieds presque dans l’eau. Il affiche un sourire complètement narquois et fier sur les lèvres. Du haut de mes seize ans, je me souviens lui avoir demandé une démonstration, le regard plein de défi. Puisqu’il est un professionnel, je demande à voir ! Je suis même allée jusqu’à lui envoyer ma planche à la tronche et m’être moquée en retour à la moindre chute. En même temps, il l’a cherché.
C’est comme ça que ma plus belle histoire d’amour commence. La seule et l’unique à vrai dire, puisque Noah fait toujours partie de ma vie aujourd’hui. Cinq ans plus tard, nous sommes toujours aussi amoureux qu’au premier jour. Une histoire d’amour salée, puisqu’on passe la plupart de notre temps au bord de l’océan, à partager la même passion. Quand il ne m’apprend pas à conduire son voilier, on part à l’aventure et faire des explorations de trois-quatre jours ensemble. J’adore ça. C’est libérateur et provocateur d’adrénaline à souhait ! Toujours dans cette soif d’aventures que nous partageons ensemble. C’est aussi le premier à me soutenir et à m’encourager à donner le meilleur de moi-même.

Aujourd’hui, je peux dire que je suis pleinement épanouie dans la plupart des aspects de ma vie. Je suis une jeune femme pleine de vie, fascinée par l’océan et avide d’aventures. J’aime vivre au jour le jour et me laisser guider par les aventures que la vie a à m’offrir. Je suis bien entourée, que ce soit du côté familial, amoureux ou même amical. Je poursuis ma quatrième année d’études dans la biologie marine à la Sunnyside Academy pour espérer devenir chercheuse et vivre pleinement de ma passion. En attendant d’avoir les moyens de m’offrir mon propre appartement, j’habite toujours dans la maison familiale, aux côtés de ma sœur Meredith, qui a récemment eu un bébé.