siobhan — you & me against the rest of the world

It takes a weak heart to forget..
Je suis née de parents qui avaient toujours été certains de ne jamais pouvoir procréer, à tenter depuis des années sans pour autant y parvenir. Et maintenant que j'étais née, mon père se renfrogna un instant, comme pour faire le deuil d'un fils, mais se ragaillardit bien rapidement à la vue de ma petite silhouette emmaillotée et déposée au creux des bras de ma mère. A leurs yeux, j'étais bien rapidement devenue leur petit miracle,et une célébration eut lieu sur l’île pour fêter ma naissance. De miracle, on ne parlait bientôt plus que de moi dans la demeure, et mon apparence de jeune ange avait sûrement dû y jouer également: une petite rouquine était née, possédant la grâce de sa mère, mais avec les yeux incroyablement profond de son père qui avaient eu tant d'effet au cœur de madame lorsqu'elle fut présentée pour la première fois à l'homme charismatique qui allait devenir son époux.

Née dans une famille originaire de Galway, mais partageant son existence entre Dublin et Inis Mor afin de répondre aux aspirations professionnelles de mon père, je me suis rapidement démarquée de mes pairs par une intelligence vive et un désir d'apprendre et de m'affirmer auprès des miens. Quand on a deux parents qui bossent plus que de raisons, on passe énormément de temps seul, ou avec des tuteurs... J'ai très tôt compris le fonctionnement du système et je n'ai pas voulu qu'on me serve le tout sans que j'aie un minimum de mérite: je ne supportais pas d'être considérée comme la petite princesse de la famille. Je n'étais pas l'une de ces gosses gâtés pourries qui traitent les employés de ses parents comme des moins que rien. Non, notre communauté était soudée et on ne traite pas sa famille comme des moins que rien... Quoiqu'il y avait à découvrir, je n'attendais pas qu'on vienne me l'enseigner, je posais des questions à tout va, sur n'importe quoi, à n'importe quel moment. Pour moi, il fallait se lancer et faire le premier pas, parce qu'il y a toujours une question dans votre esprit qu'on ne va pas nécessairement vous expliquer en cours.. Oser tenter, oser risquer, ne pas craindre l'échec et recommencer jusqu'à atteindre son but. J'étais très têtue déjà à cette époque, très curieuse aussi... J'ai toujours tenu ça de ma mère.

Alors comment aurais-je pu deviner -dans toute cette candeur de la jeunesse- que la fierté masculine pouvait mener à de terribles exactions? J'avais grandi bercée de contes de fées et d’idéalisme inspiré par la magie du pays dans lequel je vivais, je n’étais pas prête pour l'horreur de la réalité. Mais j'allais bientôt le découvrir. Apprendre de la pire manière qui soit que l'égo d'un homme rejeté par une femme pouvait être si blessé, surtout lorsque la plaie était un peu plus facilement ouverte sous l'effet de l'alcool? Je n'aurais jamais pu le deviner, encore moins présumer sur le niveau incroyable avec lequel un homme savait être lâche. Je savais que je lui plaisais, il me l'avait dit et ça me faisait très plaisir, mais être flattée ne sous entendait pas approbation. Il m'a surprise alors que je rentrais chez moi d'une promenade nocturne, et une fois neutralisée me susurra à l'oreille que si je refusais de réaliser l'amour qu'il pouvait porter à mon égard, alors il me ferait comprendre à quel point ça pouvait également être un véritable cauchemar. Et je n'étais pas de taille à me battre, ou même à le repousser, bien que ce n'était pas faute d'essayer. Je n'étais tout simplement pas assez forte et tout ce que je récoltais de mes essais furent des coups portés à répétition ainsi que la morsure d'une lame dans l'abdomen, endolorie par le froid du sol sur lequel il me maintenait allongée. Un vieillard homme nous surprit et fit fuir l'homme à coups de cris et de gestes brusques, braillements en gaélique, ou un patois un peu trop familier. Mon agresseur a fui, mais le mal était fait et rien qui ne puisse être réalisé ou dit n'allait pouvoir changer le cours des évènements de cette nuit là. Je n'avais que 17 ans. Je me souviens du vieil homme qui m'avait accueillie le temps que la police arrive. Il était sincère et inquiet, de son petit sourire franc et, espérait-il, réconfortant. Moi, je ne ressemblais plus à rien et bien que je n'allais pas refuser les soins qu'il m'avait offerts, j'étais bien trop hagard et sous le choc pour réellement prendre conscience de l'étendue des dégâts. Une seule chose ne cessait de résonner à mes oreilles: tout était ma faute.

J'étais persuadée qu'il m'avait tout pris, volé mon honneur, ma vie, ou encore mon désir de vivre. Mon père s'est fait plus distant suite à cela, dévasté à l'idée qu'il n'ait pas pu voir le danger dissimulé sous l'attention exagérée de celui qui m'avait tourmentée. Je pense qu'il s'est persuadé avoir failli en tant que père, et je n'avais certainement pas l’énergie de l'en convaincre autrement. Ma mère est le véritable rock de notre famille, moteur de notre renouveau. C'est elle qui m'a encouragée vers ma passion de palefrenière, comprenant si facilement le bien être que je retrouvais au contact des animaux. J'ai pendant longtemps vécu chez ma tante, qui possédait un centre de randonnées équestre au nord de Dublin. Chez elle, j'ai tout redécouvert, et j'ai appris à vivre. Jamais, en revanche, ne me suis-je laissée berner par les affections d'un homme. Le spectre de la violence masquait les traits de chaque prétendant, et au fil des années je me suis convaincue que je n'aurais jamais besoin de qui que ce soit. Je pensais pouvoir m'en sortir seule. Il le fallait, au fond, parce que c'était la seule manière selon laquelle j'allais vraiment pouvoir me tirer de ce bazar et aller de l'avant.




A penny for your thoughts, a picture so it lasts...
La vie était une farandole d'événements aussi mondains les uns que les autres pendant les années qui ont suivi. J'ai fait quelques études, mais ma véritable passion restait dans le domaine équestre, avec quelques notions de tourisme et business. Rien de spécial valant d’être mentionné, jusqu’à ce que mon père ne me propose de l'accompagner lors d'un de ses voyages professionnels. "Cela va te faire du bien de changer d'air", qu'il pensait, ce à quoi je lui ai répondu avec mon enthousiasme habituel. Autant dire pas grand chose. Mon existence était monotone, et j’éprouvais un doute vivace à l'idée qu'un séjour d'un mois aux États-Unis allait y changer quoi que ce soit.

Seigneur, comme je pouvais avoir tort.

2004 n'avait pas été une année particulièrement extraordinaire pour moi, et je ne nie pas avoir traîné des pieds comme une enfant lorsqu'il m'a attirée à un meeting avec quelques secouristes locaux.  C’était une chose de l'accompagner à un séminaire, c'en était une autre d'avoir à me balader dans toute la ville a basculer d’hôpitaux, en postes de police, jusqu’à finir dans quelques casernes des pompiers. Hilton n’était même pas la première ville sur notre itinéraire, mais c'est là que ma vision des choses a complètement basculé. Ou plutôt, c'est lorsque mon regard se posa sur la brunette que mon intérêt fut piqué, comme si quelqu'un avait ravivé la flamme dans un cœur qui laissait doucement mourir ses braises. Il y avait quelque chose à propos d’elle qui me semblait différent des autres, et au plus de temps je passais en sa compagnie, au plus je me voyais charmée. Au début, ce n'était que courtoisie, son père dirigeait la caserne qui intéressait tant le mien, et elle s’est proposée de m’accompagner dans la visite des lieux pendant que les patriarches discutaient de leurs affaires. Et puis c'était un café, lors de l’un de ses rares jours de congé, lorsque j’ai enfin pu rencontrer Victoria. Au final mon père continua son tour des USA pour son boulot, et moi je suis restée à Hilton, à découvrir la ville comme je n’avais jamais voulu visiter un autre lieu par le passé, offrant de babysitter l’enfant de Wilhelmina lorsqu’elle avait besoin de bosser et n’avait pas d’autre choix. Chaque jour était passe en sa compagnie, et mon cœur ne s’était jamais senti plus léger que lorsque je la voyais.

Je suis venue en ville pour mon père, je suis restée pour Wil, mais j’y suis revenue pour moi. Parce qu’il m’a fallu quelque temps pour réaliser que je venais de découvrir quelque chose de spécial que je ne pensais jamais un jour trouver, et qu'une part de moi n’appartenait plus à l’horizon verdoyant de ma terre natale. Il m'aura fallu du temps pour me confier a Wil, pour comprendre, et faire comprendre exactement ce que je ressentais. Mais lorsque mon aveu a résonné pour trouver écho dans le sien, c'est comme si je prenais une bouffée d'air pour la première fois en bientôt dix ans.

Un renouveau.




Here's a lullaby to close your eyes.
Lorsque Wil m'a confié qu'elle me visualisais avec une aise affolante en tant que mère, j'ai paniqué. Nous n’étions pas ensemble depuis si longtemps que ça, mais je ne pouvais déjà plus imaginer ma vie sans elle. Elle m'avait redonné goût a la vie, rendu un sourire qui fit pleurer ma mère lorsque je lui ai présenté la femme avec qui je voulais passer le restant de mes jours. Mais être maternelle avec Victoria et vouloir plus que tout pouvoir l'adopter était une chose, porter la vie moi-même en était une autre. Le fait d’être étranger au pays n'aidait en rien l'aspect légal de notre relation, et je ne voulais en aucun cas laisser Wil derrière si un jour je me laissais un jour persuader. Il lui aura d'ailleurs fallu du temps pour me convaincre, pour faire taire le sentiment d'indignité que je ressentais à l'idée d'abriter quelque chose de si précieux. De vieilles cicatrices ont refait surface pendant cette période de doutes, et c'est probablement à cette époque que mes plans pour le centre équestre se sont concrétisés; parce que lorsque je perdais pied, le contact avec mes animaux avait toujours été un élément stabilisateur. J'ai cédé au final, et après trois tentatives infructueuses, je me suis retrouvée enceinte de nos enfants. Des jumeaux. J'avais craint que l'historique de conception difficile de mes parents ne soit passé à moi, mais il ne semblait pas. Les enfants étaient sains, pour une paire conçue par in vitro. Je m’étais persuadée ne pas être en mesure d'aimer qui que ce soit plus que je ne pouvais aimer Wil, jusqu’à ce que mon regard ne me pose sur le duo, puis sur ma compagne. Elle éprouvait toujours une certaine réticence a s'avouer en couple auprès de ses parents, mais je m'en moquais; elle pouvait prendre le temps qu'il lui fallait, parce que c'est a cet instant précis que j'ai réalisé sans l'ombre d'un doute que j'allais épouser cette femme. Un jour. Un jour qui vint deux ans plus tard, mais qui restera dans les mémoires de tous.

A partir de la, la vie prit enfin une normalité qui m'avait manqué pendant tant d'années, si je mettais de côté les quelques frayeurs que Wil avait pu me faire vivre au gré de ses urgences professionnelles. Il y a toujours une part de moi qui redoute que chaque jour soit le dernier, qu'un jour elle ne reviendrait tout simplement pas... et les rares fois ou cela a été bien trop proche de la catastrophe a mon goût, je le vivais mal. Il n’était pas rare que ces jours-là, je dorme à l'écurie et que mes beaux-parents doivent s'occuper des enfants. J'avais honte de souffrir de telles angoisses, ou de laisser mes enfants de côte pendant une nuit ou deux, mais... parfois j'ai besoin de me centrer à nouveau. Me concentrer sur ce qui est, non pas ce qui aurait pu. Et cela ne durait jamais bien longtemps... Le contact avec nos voisins est cordial, et au fil des jours je retrouve dans mon miroir la jeune fille libérée et joviale, avec un sourire pour tous et le cœur sur la main. J'étais heureuse, et je pense que tout le monde pouvait le voir.

Mon centre équestre fut établi à la limite de la cité, avec un focus sur le dressage de chevaux et l'aspect thérapeutique que le contact animal pouvait offrir à quelqu'un qui souffrait. Je ne me souvenais que trop bien comment me soucier de mes bêtes m'avait aidé à sortir de ma coquille, à aller de l'avant avant même que je ne rencontre ma belle. A cet effet, j'ai passé un brevet d'équithérapie, même si je préférais de loin laisser le suivi médical à l'équipe spécialisée avec laquelle je m’étais associée. Je ne voyais mon brevet que comme une source d'informations en plus pour m'occuper des gens qui me prêtaient leur confiance, non pas comme une prétention à les aider qui nécessitait une expertise bien plus poussée que la mienne. Je voulais aider. Je voulais guérir. Je voulais assister et offrir aux autres une chance de renouveau, comme Wilhelmina avait fait pour moi.