Noa Hawkins - Un pour tous et tous pour un (Done)

Tout a commencé le 23 décembre 1990. Cela remonte à plusieurs décennies maintenant et je n'ai de souvenir que ce que mes parents m'ont raconté de ce jour-là. Mon père me dit souvent qu'il faisait un froid glacial car le thermomètre, parait-il, n'était pas remonté à plus de 10°C. La sensation fut encore plus désagréable du fait que le vent soufflait particulièrement fort et que le ciel était nuageux. Ma mère, elle, préférait parler de la surprise qui fut la sienne quand elle apprit qu'elle était enceinte. Ben oui, Monsieur, Dame, c'est souvent ce qu'il se produit quand on fait des galipettes sans se protéger... "sortez couverts les garçons", qu'il dit mon père. Tu m'étonnes, hein ! Enfin, j'aurais aimé voir leur tête lorsqu'après m'avoir mis au monde, ils se rendirent compte que mon frère me suivait de peu. Ben et moi ne sommes pas une copie l'un de l'autre. Nous sommes des faux-jumeaux, même si nous avons un lien tout aussi fusionnel. J'y reviendrais plus tard. J'étais plutôt bien portant, avec mes 2,3 kilogrammes, sachant que ma mère a accouché dans son huitième mois, c'est à dire bien avant le terme. J'ai du me montrer assez vorace, car Ben, lui a eu droit à un séjour en néonatalité avec un peu de réa. Le chanceux, il a eu une couveuse et de l'oxygène ! Bon, c'est vrai que sur les photos, il ressemblait à une petite crevette lyophilisée ! Il a joué un peu les casse-pieds alors que je suis sûr que c'est lui qui m'a poussé pour que nous naissions avant Noël, juste histoire d'avoir droit à un cadeau. Tss... le petit fûté ! Nous avons reçu nos prénoms, ainsi que nos bracelets soigneusement conservés dans la boîte à souvenirs de mes parents, d'ailleurs. Quand Ben fut remis, nous avons été amenés dans la maison familiale.

Le premier vrai souvenir que j'ai de mon enfance, c'est pour notre cinquième anniversaire. Nous recevions du monde. Je ne sais plus qui exactement, mais les convives étaient nombreux. Maman et papa nous avaient habillés d'une chemise impeccable, sans aucun faux-pli, avec un petit pantalon pour enfant, de ceux que l'on porte aux mariages. Nous disposions du même nœud papillon qui nous valut littéralement tous les signes manifestes d'adultes "gagatisant" sur notre adorable petit minois. Tess, quant à elle, était dans son berceau, accoutrée d'une robe à paillettes dont ma foi, je dirais que le choix était quand même très discutable. On aurait dit une boule à facettes et je dis ça avec beaucoup de sérieux et de tendresse. Il aurait suffi que l'on éteigne la lumière pour qu'elle nous éclaire ! Elle n'avait que deux ans, je doute qu'elle s'en rappelle ! En tout cas, je vous ai posé le contexte. C'était sensé être une fête mais mon frère et moi avons passé un moment absolument horrible. Ce jour-là je crois que nous avons crevé le mur de l'ennui ! Après trois heures passées à table, à écouter les grands, avec l'interdiction formelle de se lever, nous avons fini par nous assoupir tête la première dans notre propre gâteau. Ca a fait rire l'assemblée mais croyez-moi, mes parents et nous, n'étions pas franchement jouasses !

Dès le plus jeune âge, j'ai grandi avec des règles, un cadre très select et très précis. Apprendre la guitare, cet instrument de "sans-abri" comme le dit mon père ? Certainement pas ! Non, ce serait quelque chose de plus mélodieux et élégant : le violon. Ce que je déteste cet instrument !!! Le dernier stradivarius que mes parents m'ont offert a fini dans la cheminée un soir d'hiver. Et ces foutues partitions avec ! Maintenant que j'y pense, j'ai peut-être été un peu radical... enfin bon... ce suppôt de l'enfer l'avait bien cherché ! En dépit du fait que nos faits et gestes étaient parfaitement contrôlés par nos parents, Ben, Tess et moi nous sommes soudés. Je dois le dire, j'ai toujours nourri avec mon frère et ma sœur un lien fort, bien qu'il soit différent. Mon jumeau, c'est comme ça, il reste toujours LA personne vers laquelle je me tourne quand j'ai un problème ou que je veux m'éclater. Nous n'avons pas toujours besoin de parler pour nous comprendre. Souvent un simple échange de regard, une attitude suffisent. Nous avons entretenu cette complicité au fil des ans. Ma frangine peut compter sur moi. Nous avons trois années d'écart, sur une échelle de vie ce n'est pas grand chose. Mais cela suffit à ce que je sois toujours protecteur à son égard. Il est important que je lui montre que je la soutiens. Et forcément, nous sommes un peu moins proches, tout en l'étant quand même énormément.

Nous n'avions pas le choix de nos amis d'enfance. Il s'agissait bien souvent de personnes intégrées à notre vie par nos parents. Personnellement, à l'école, j'avais quand même quelques camarades à qui je parlais. Forcément, dans un établissement privé suintant le prestige, le choix est réduit et je n'ai pas trop eu l'occasion de rencontrer des enfants issus d'un milieu plus modeste. Ce qui a vraiment permis de faire tomber les barrières, c'est le basketball ! Ah ça... il est clair que ça nous a ouvert des portes ! Oups... pardonnez-moi, je digresse. Ben et moi avons été baignés dans ce sport dès que nous étions autorisés à regarder les matchs avec mon père. Nous suivions toutes les saisons et vers l'âge de huit ans, nous avons été inscrits dans un club pour pratiquer cette discipline. Ce fut le coup de foudre et ça ne nous a jamais quitté ! L'école, je vais être honnête, ça me convenait plutôt bien. Le règlement était très strict mais j'y étais déjà habitué. J'adorais mes professeurs et leur façon d'enseigner. Ils se montraient bienveillants, ouverts d'esprit. Ils m'ont transmis leur savoir avec passion. Ma matière préférée ? Les mathématiques ! J'ai appris les tables de multiplication et de division en un mois. Les chiffres, je trouve ça passionnant, davantage que les langues. Je n'aime pas vraiment ce qui est abstrait. La grammaire, l'orthographe, ça passe encore parce que c'est une règle bête et méchante... Mais franchement... les récitations de poésies ? Les travaux d'écriture ? La lecture ? Je trouvais ça ennuyeux et difficile à appréhender. Mais nous avons toujours eu un marché, Ben et moi. Nous nous échangions nos devoirs. Je faisais ses exercices de maths et lui mes devoirs de langue. Nous faisions ça dans le dos de nos parents.

Et puis, vint la période de l'adolescence... vous savez ce moment grâcieux où votre corps se transforme, où les hormones vous assaillent, provoquant une furieuse envie de tout casser, déprime, flemmardise, réactions absolument incontrôlées et parfois, admettons-le, complètement attardées ! Je n'ai pas dérogé à la règle, j'ai été cet ado acnéique, à la voix mi-aiguë, mi-grave, qui agissait sans trop réfléchir. J'ai eu ma période de rébellion contre les règles que l'on m'infligeait... plus tardivement que Ben et peut-être à un niveau moins prononcé. C'est là que j'ai commencé la clope. Je vous avais dit que j'étais un peu con, hein ! Depuis, impossible de m'en débarrasser. Tant pis pour moi, j'ai voulu faire le beau, me donner un style et voilà le résultat, je suis accro maintenant. Ma puberté est survenue assez rapidement, vers l'âge de mes 13 ans. Je me suis retrouvé à dépasser mes camarades de deux têtes, à avoir de la barbe, des poils sur le corps. Tant et si bien que lorsque, à mes 15 ans, j'ai fait le mur avec des copains de l'équipe de basket pour aller en boite de nuit dans un quartier qui craignait un peu, j'ai pu rentrer sans aucun problème. Première cuite... et bon sang, ça m'a vacciné contre la bière, pour toujours. Je n'avais jamais pris conscience de la position de mon foie et de mon estomac jusqu'à cette nuit-là où j'ai cru que j'allais crever dans la cuvette des toilettes. Je peux dire que je me souviens encore du lendemain quand je suis rentré chez moi à cinq heures en pensant que ça serait ni-vu, ni-connu et que mon père m'attendait dans le salon. Objectivement, mes parents n'ont jamais été violents envers nous, leurs mots et leurs punitions suffisaient à mettre tout le monde d'accord. J'ai pris un voyage... ça m'a un peu calmé.

Quand je suis entré au lycée, Ben et moi avons été séparés. Ca m'a fait bizarre... j'avais l'habitude que nous partagions tout ensemble et là, avec nos emplois du temps ce fut assez compliqué à vivre pour moi. Nous nous retrouvions dans l'équipe de basket où nous avions littéralement une pléiades de filles autour de nous. J'aurais pu en profiter mais je n'étais pas prêt. Voir toutes ces demoiselles, je vais être franc, ça me titillait, mais je ne me sentais pas vraiment à l'aise et en confiance pour tenter quelque chose. Et si Ben n'avait pas franchi le cap en se mettant en couple avec une belle brune, je n'aurais sûrement jamais accepté de sortir avec l'amie de celle-ci. L'aide de mon jumeau a été déterminante. Je n'y connaissais rien aux filles, j'avais tout à apprendre. Après quelques mois de fréquentation, j'ai été chez elle pour lui faire réviser ses maths. Je vous jure, c'était vraiment pour ça au départ... c'est parti en pelotage sans que je ne comprenne comment, je n'ai absolument rien contrôlé. Ca a été ma première fois et si je devais poser les bases de ma vie sexuelle là-dessus, franchement, ça serait apocalyptique. Je crois que la honte m'aurait poussé à devenir moine. Nous avons été surpris par sa mère, qui en a parlé à mon père, ce qui m'a valu un sermon, parce que... ça ne se faisait pas de ne pas mettre de préservatif... Merci papa... vous avez l'image de la gêne en tête ? Estimez-vous heureux, moi elle est gravée pour toujours dans ma mémoire. Je dois vivre avec...

Une fois le lycée terminé, je me suis lancé dans des études de droit. J'ai toujours aimé les séries qui passaient à la télévision, avec ces procès, ces enquêtes, ces plaidoyers... et sans me vanter, comme j'étais capitaine de l'équipe de basket, j'avais développé un charisme certain et un sens du leadership. Quand je ne jouais pas, j'arbitrais quelques rencontres. J'ai toujours eu horreur des injustices. D'avoir eu une scolarité dans le privée puis de découvrir le public, les différentes catégories sociales dans ma classe, ça m'a fait prendre conscience que tout le monde n'était pas né comme moi avec une cuillère en argent dans la bouche. Le fait d'entrer dans la vie adulte m'a fait gagner en lucidité et en maturité sur la vie en elle-même. Mais n'allez pas croire que j'étais un étudiant sage. Réviser ne m'a jamais empêcher de faire la fête. J'avais 20 ans de règles éprouvantes à évacuer ! Faites-moi confiance quand je vous dis que je me suis lâché. J'en ai éclusé des bars, des nightclubs... j'ai découvert la diversité des alcools, j'ai même fumé quelques joints. J'aurais pu prendre de la coke, comme bon nombre des gars de ma fraternité, mais je m'y suis toujours refusé. Je savais que c'était nocif pour moi. J'ai régné sur une salle de karaoké et sur une piste de danse. J'ai fait des courses de voiture aussitôt que j'ai eu mon permis. Et puis j'ai trouvé le mode d'emploi pour satisfaire les femmes aussi. Vous ne savez pas à quel point un campus universitaire permet de parfaire ses connaissances en la matière ! Je suis finalement devenu un jeune homme, avec ses excès mais toujours attentif à garder en vue mon objectif.

Un jour, je me suis interrogé sur ma sexualité. Je n'avais d'yeux que pour les femmes, de préférences celles avec un tempérament marqué et de jolies formes. Mais comment pouvais-je savoir que j'étais hétérosexuel sans tenter de voir si j'éprouvais quelque chose pour un homme ? J'ai cédé aux avances d'un pote gay, mais au moment où nous sommes retrouvés dans sa voiture, pantalons baissés, j'ai compris que ce n'était pas fait pour moi. Ma satisfaction est d'avoir essayé ! Pour éviter que mes parents ne voient le budget hallucinant que j'avais en prévention contre les mioches non désirés, je donnais des cours du soir à des étudiants en maths, contre de l'argent liquide. Comme ça, ni vu, ni connu ! Malgré nos parcours universitaires différents, j'ai gardé un lien solide avec Ben mais aussi avec Tess. L'un et l'autre pouvaient compter sur moi en toutes circonstances. Et malheureusement pour notre famille, un drame ne tarda pas à arriver. Notre mère décéda dans un accident de voiture. La nouvelle fut aussi brutale que dévastatrice. Elle m'a marqué pour toujours. Peut-être parce que je suis quelqu'un de cynique et que j'ai tendance à relativiser les malheurs, j'ai réussi à faire mon deuil, non sans douleur. Ensuite, j'ai été là pour ma famille. Mon père s'en est difficilement remis. Comme il me le confie encore, maman n'était pas qu'une épouse, elle occupait une place d'amie et de confidente. Je les ai toujours connus fusionnels. Tess m'a demandé plus d'attention, car elle était encore jeune et le drame est survenue à une période compliquée pour elle.

Mais celui qui m'a provoqué le plus d'inquiétude, ce fut Ben. Je l'ai vu se noyer dans l'alcool et j'ai aussitôt tendu la main pour l'éviter de s'enfoncer davantage. Je n'avais pas besoin de mots pour sentir toute la douleur et la peine qui étaient la sienne. Ce fut très dur, tant pour moi que pour lui. Nous avons fait front ensemble, jusqu'à ce qu'il aille un peu mieux. J'ai eu la fierté d'obtenir mon diplôme et de passer l'examen du barreau. Ce succès, je le dois à ma mère. Sa disparition m'a fait redoubler d'efforts et m'a permis de me canaliser et de trouver un bon équilibre entre la détente et le travail. J'ai réalisé plusieurs stages dans des cabinets d'avocat. C'était formateur, cela m'apprit le métier avec des cas pratiques. Bien que mon père ait voulu faire jouer ses relations, j'ai toujours refusé. Je voulais gagner mes combats par moi-même ! Je me suis trouvé une vocation : le droit pénal. Quoi de plus noble que de se battre pour faire condamner des criminels ou sauver des innocents injustement accusés ? Vous allez me dire que cela nécessite de laisser son éthique au vestiaire mais votre réflexion m'amuse. Il est tout à fait possible d'être un avocat intègre. Ma carrière en est la preuve vivante. Vous pouvez fouiller, je ne me suis jamais compromis. Quand un client me déplait, je lui dis non. Je ne suis pas du côté des pourris mais des gens frappés par l'injustice. Cela me vaut d'être vu comme un chevalier blanc, qui enchaine les affaires pro bono publico. Vous vous en doutez bien, je n'aurais jamais été embauché chez Scott Office et je n'y serais pas resté si je ne gagnais que des affaires gratuites. Disons que j'ai bien compris que leur médiatisation faisait tourner les affaires et accroissait ma notoriété, je ne suis pas dupe.

Aujourd'hui, je suis content de mon travail et de mon parcours. Je suis heureux que mon père soit fier de moi. J'ai retrouvé mon frère avec lequel je vis en colocation. Son absence, pendant un an, m'a beaucoup affecté. Je n'avais pas de possibilité de le voir en vrai et quand on est habitué à la présence de quelqu'un dont on est fusionnel, ouais, je vous le dis, c'est très difficile. L'avantage c'est que Tess a eu toute mon attention, du coup. Je ne suis pas certain qu'elle l'ait vécu de façon très positive, elle. Je n'ai pas été très cool avec les mecs qu'elle a voulu intégrer dans sa vie. Le dernier, il n'a pas trop apprécié que je vienne lui parler d'une affaire de femme maltraitée par son mari, condamné à dix ans de prison pour violences conjugales par mes soins. Je lui ai fait peur et certes, j'ai été rude, mais au moins il a arrêté de tourner autour de ma sœur, qui n'a pas aimé du tout... J'essaie de lui montrer que j'ai confiance en elle, mais parfois je m'interroge sur ce qui me motive. Si je prends Ben et sa copine, là... je n'ai jamais pu la sentir, mon intuition me dictait qu'il fallait s'en méfier. Je ne lui en ai parlé que parce qu'il a mis le sujet sur la table. Si j'accepte qu'il puisse être suffisamment mature pour s'en rendre compte, alors je dois en fait de même pour Tess et la laisser faire sa vie. C'est juste que... c'est ma petite sœur d'amour... je n'ai pas envie qu'elle souffre et qu'elle soit malheureuse, c'est tout... Parfois, je me dis que je préfère passer pour le méchant dans l'histoire plutôt que de voir son cœur brisé en mille morceaux.

Je vais tâcher d'être plus cool avec elle, de ne pas l'étouffer. Je ne promets pas de réussir, mais au moins, je vais essayer. En ce qui me concerne, mon père n'arrête pas de me parler de bébés, de mariage... je le laisse faire. Il n'a pas la main mise sur ma vie. Actuellement, je me contente de relations éphémères, sans trop me tracasser. Peut-être que je vais trouver une femme qui partagera le reste de ma vie, ou pas du tout. Qui vivra, verra. En attendant, je profite de ce que la vie m'offre.