Clara ⇝ my heart keeps coming back to you

Dimanche 9 avril 1989, quatorze heures trente-huit précisément ; une petite tête blonde répondant au doux nom de Clara poussa son premier cri au Hilton Hospital. Une blondinette que tout le monde qualifiait de petit ange — et oui, c’était bien moi. L’enfant tant attendu, le fruit de l’amour fou de deux jeunes mariés. J’étais le premier enfant de la famille Collins, toute douce, presque délicate et surtout discrète. Des traits de caractère qui me suivront presque toute ma vie, je savais m’effacer sans toutefois me laisser marcher dessus. Maman me disait souvent que je n’avais pas été un bébé qui pleurait beaucoup, ou qui avait besoin d’attention constante. Au contraire, un rien pouvait m’occuper des heures. Le silence fut bien vite brisé le jour où mon frère est venu au monde. Seth, sacré Seth. Il arriva deux ans après moi et je n’arrivais pas à croire que j’avais réussi à vivre deux ans sans lui. Le meilleur ami que je n’aurais jamais imaginé avoir. Un allié, un pilier, un petit monstre qui m’entraînait dans ses bêtises la plupart du temps. Bien vite, on s’était ligués contre nos parents… on aimait leur mener la vie dure et enchainer les bêtises, complices jusqu’au bout. Mon enfance avait été heureuse, bien entourée et choyée dans un foyer rempli d’amour et de bienveillance. N’importe qui rêverait de grandir dans ce cocon que nous nous étions créé. Mes parents ? Ils étaient le genre de couple très très amoureux… Ceux qui se donnaient des surnoms à vomir, qui n’avaient pas peur de montrer au monde entier qu’ils s’aimaient, qui ne pouvaient passer une journée sans l’autre… Un amour que les années ne semblaient pas changer, mais plutôt renforcer. C’était un bel exemple qu’ils avaient monté pour mon frère et moi, bien qu’un peu trop idyllique, ils avaient peut-être mis la barre un peu trop haute. Nous avions grandi avec cette idée que l’amour entre deux personnes était éternel, mais surtout que nos parents étaient faits l’un pour l’autre et que rien ne pourrait les séparer… ce qui n’était pas tout à fait correct.

« Ça fait pas cro mal ? » demandai-je à la petite brune qui s’était fait mal au menton. Ces cinq petits mots débutaient une amitié que rien ne pourrait briser. Ma super copine Kiara et moi, on était inséparables depuis l’école maternelle. Je l’avais trouvé tellement cool avec ses trois points de suture sur le menton et notre petit duo s’est formé naturellement. Le truc le plus cool, c’était qu’on avait grandi dans le même quartier, car quelques semaines après notre rencontre, Kiara avait emménagé à côté de chez moi et nous nous retrouvions voisines. Et autant dire qu’on ne s’ennuyait jamais toutes les deux, deux vraies chipies.
Mais déjà à l’école maternelle j’étais appliquée dans ce que je faisais et je montrais une envie d’apprendre. Avec le temps, cette soif d’apprendre grandissait de plus en plus. Si bien que les rentrées scolaires étaient devenues mes journées préférées. Je les attendais toujours avec impatience, chaque année. L’odeur des nouveaux livres, des nouvelles fournitures, l’excitation des veilles de rentrées… bref, j’aimais apprendre, et ce, depuis mon plus jeune âge.

À l’image de mon enfance — à part quand il s’agissait d’embêter mon frère — je n’avais pas été une adolescente difficile. Bien au contraire, j’étais la plus heureuse entre mes livres quand la plupart de mes amis profitaient et faisaient la fête tous les soirs. Moi, les sorties, les garçons et l’alcool ça ne m’intéressait pas vraiment. Je préférais presque la compagnie de mes livres. Ne vous méprenez pas, je n’étais pas asociale… j’adorais rire, m’amuser et profiter de la vie, mais les études étaient simplement plus importantes à mes yeux.

Et puis un beau jour, ce qui devait arriver, arriva. L’amour n’était pas éternel, l’amour n’était pas aussi beau qu’on aurait pu le croire, peut-être que deux personnes faites l’une pour l’autre, ça n’existait pas. Le jour de mes seize ans, mon père, furieux, demanda le divorce. Joyeux Anniversaire Clara ! Ça faisait déjà quelques semaines que ça n’allait plus entre papa et maman… des disputes atroces, des cris, des pleurs… L’ambiance était électrisante à la maison. La plupart du temps, je m’enfermais dans la chambre de Seth, un écouteur chacun dans l’oreille pour calmer nos angoisses et attendre que l’orage passe, dans notre petite bulle… Seth n’avait pas voulu prendre le parti de qui que ce soit lorsque le divorce fut prononcé, mais moi, j’avais décidé de vivre chez mon père. Mon père que j’admirais depuis mon plus jeune âge, mon père qui avait été trahit par ma mère et avait fait voler notre belle famille en éclats… Parfois, quand je rendais visite à ma mère, je la dévisageais pendant de longues minutes, perdue dans mes pensées, me demandant comment elle avait pu tromper mon père alors qu’ils s’aimaient autant. C’était et ça resterait un mystère… mais je n’oublierai jamais la peine qu’elle avait causée à mon père et à notre famille tout entière.
Vivre avec mon père, c’était un peu comme la récréation tous les jours. J’avais le droit de faire tout ce dont j’avais envie. On s’amusait trop tous les deux, mais Seth me manquait. J’étais habituée à toquer à sa porte quand ça n’allait pas, de rire pendant des heures avec lui ou simplement de passer un peu de temps avec lui quand j’en avais envie. Maintenant les choses étaient différentes. J’étais passée de le voir tous les jours à… une semaine sur deux. Ce n’était pas évident quand on était aussi complices, mais on avait fini par s’y habituer. Au lieu de passer des heures à écouter de la musique avec lui, je me plongeais encore plus dans mes bouquins et mes études. Comme pour la majorité des petites filles, mon papa était un peu mon héros et je l’admirais encore plus — sans toutefois le dire à voix haute — depuis qu’il s’était séparé de ma mère. Il avait pris le relais sur pas mal de choses et le moins que l’on puisse dire, c’était que la vie de père célibataire n’était pas facile. Surtout avec deux adolescents à la maison. Mais il avait assuré, la plupart du temps. J’avais d’excellents souvenirs avec lui, mais ceux que j’avais gardé le plus en mémoire étaient les procès. Papa adorait m’entraîner dans l’audience et moi, j’adorais le voir se battre avec une telle férocité pour ses clients. C’était quelque chose qui m’impressionnait, m’attirait et qui attisait ma curiosité en même temps. Je pouvais aisément m’imaginer à sa place, en tailleur, en train de plaidoyer avec finesse. C’était d’ailleurs lui qui m’avait tout appris. Je ne comptais plus les heures qu’on avait passé à imaginer des scènes de procès. Mon père, ça l’amusait de me voir à l’œuvre, concentrée à essayer de trouver une faille ou une stratégie. Je pouvais y passer des heures… c’était donc tout naturellement que je me dirigeais vers le droit après le lycée. Une évidence à vrai dire. Ce domaine était fait pour moi, je ne me voyais emprunter aucun autre chemin.

À mes dix-huit ans, je m’envolais à Los Angeles, abandonnant mon Hilton natal et tout mon entourage pour découvrir un tout nouveau monde. C’était dur, j’étais livrée à moi-même et il fallait s’accrocher, mais qu’est-ce que j’aimais ça ! J’étais dans mon élément et je travaillais dur pour y arriver. Je ne voulais laisser aucune distraction me perturber comme toujours… Enfin peut-être juste une : James. Charmeur, un sourire à tomber, drôle, attentionné, comment ne pas craquer ? James, c’était le premier garçon qui m’intéressait réellement, le seul pour qui j’avais fait tomber ma garde. C’était dur d’accorder pleinement sa confiance à quelqu’un quand on avait vu ses parents se déchirer… On a vécu une jolie histoire, remplie d’amour, de complicité, de rires, de bons moments, mais peut-être que tout allait un peu trop vite entre nous. On était si jeunes, peut-être un peu trop pour s’engager dans une telle relation. Je sentais bien James me filer entre les doigts, il sortait beaucoup avec ses copains, les soirées étudiantes s’enchaînaient et puis un jour… je l’ai trouvé. Ce fameux soutien-gorge sous son lit. J’étais restée assise comme une idiote sur son lit, à regarder ce petit morceau qui venait de briser un an et demi d’amour. Même si au fond de moi j’avais eu ce pressentiment que quelque chose n’allait pas, ce n’était pas pour autant que ça n’avait pas fait mal. Bien au contraire, je me sentais trahie, à croire que c’était une malédiction dans la famille.

Après cette douloureuse rupture, les garçons c’était fini pour moi. Je ne m’autorisais pas à ouvrir mon cœur à nouveau. À la place, j’emménageai en colocation avec Kiara qui m’a énormément aidé à remonter la pente et je me concentrais sur les deux dernières années d’études qu’il me restait et décrochai mon diplôme haut la main…. Et puis, après quatre années de travail, j’intégrais l’école de droit, toujours à Los Angeles pour poursuivre ce qui m’animait.

C’était là-bas que j’avais rencontré Aidan. Ce charmant jeune homme aux magnifiques fossettes, en atelier de simulation où j’ai apparemment attiré son regard. Pas du tout dans cette optique-là, je le lui fis gentiment comprendre, mais il ne l’entendait pas de cette oreille. Pendant des mois il a essayé de me séduire, sans succès. J’étais complètement fermée à cette idée-là. Les mecs comme lui, je les connaissais et je voulais en rester loin. Très loin même. D’autant plus que mon objectif était de finir l’école de droit et je me concentrais sur ça. Sauf que, le destin en avait décidé autrement, à la fin de l’année, on se retrouvait dans le même stage, à la même firme. C’était la poisse qui me suivait, ou un gros coup de chance peut-être avec le recul. Dans notre misère de petit stagiaire, on avait trouvé le moyen de se serrer les coudes et de se rapprocher un tout petit peu… jusqu’à ce qu’on se retrouve coincé ensemble dans un ascenseur, c’était bien ma veine ! Aidan était revenu à la charge, profitant sûrement du fait que je ne puisse pas m’échapper… Il prétendait ne pas avoir imaginé notre premier rendez-vous comme ceci. Quelle arrogance. Un roulement d’yeux et voilà qu’il me demandait pourquoi il n’était pas mon genre. Je me rappelais encore lui avoir dit avec franchise que je connaissais les pitres comme lui et que s’il essayait simplement de me mettre dans son lit, il pouvait toujours essayer… Ne me demandez pas comment on est sorti de l’ascenseur avec l’idée d’aller boire un verre ensemble, même moi je ne saurais l’expliquer… et encore aujourd’hui je me demandais toujours ce qui m’avait pris d’accepter ce premier rendez-vous. La curiosité peut-être…

À ma grande surprise, on avait plus en commun que ce que je ne le pensais et le premier rendez-vous c’était merveilleusement bien passé. Et le suivant aussi, et celui d’après encore plus… On s’entendait vraiment bien, on a commencé à développer une petite complicité et ce durant tout l’été. Je ne voulais pas précipiter les choses, ni m’emballer et ce n’était qu’à la rentrée qu’on s’est mis officiellement en couple. On filait le parfait amour, jamais je n’avais été heureuse comme je l’étais avec Aidan.
Moi qui pensais ne jamais ressentir un amour aussi intense que le premier, j’avais bien tort. C’était encore plus fort avec Aidan, si c’était possible. Peut-être que je comprenais un peu mieux l’amour que mes parents avaient partagé toutes ces années, qu’est-ce qu’on avait pu se moquer ou les taquiner à l’époque avec Seth… aujourd’hui je comprenais ce besoin constant d’être aux côtés de la personne qu’on aime. Et à l’époque, il fallait dire qu’où il y avait Aidan, il y avait Clara. On était sûrement un de ces couples agaçants, toujours collés l’un à l’autre… si bien, qu’en dernière année d’école de droit, je quitte la colocation avec ma meilleure amie pour m’installer avec Aidan. La vie était belle, on avait tous les deux décrochés notre diplôme en même temps et notre premier boulot chacun de notre côté… J’étais heureuse dans ma vie à Los Angeles, pas loin de ma famille, avec l’homme que j’aimais, dans une grande firme où j’essayais de me faire une petite place… bref je n’aurais pu rêver mieux.

La fin a commencé par de longues soirées au boulot, des petits mensonges par-ci, par là, de l’éloignement, des comportements un peu suspects qui ne ressemblaient pas à Aidan. Certains signes que je pouvais reconnaître et qui ne trompaient pas… Le doute s’était immiscé dans mon esprit et un soir, j’ai pris le téléphone pour appeler le bureau d’Aidan. Il n’y avait personne bien entendu, ce qui me confortait dans mes suspicions. Et puis un jour, un petit reçu d’hôtel trouvé dans ses affaires fit écrouler mon monde tout entier. Aidan me trompait. Les nuits où il n’était pas auprès de moi, il les passait à l’hôtel en bonne compagnie. Cette pensée me répugnait. J’ai commencé à y voir rouge, déchirée par cette trahison. Comment avait-il pu me faire ça ? Lorsque je le confrontais, Aidan suggéra qu’on ferait peut-être mieux de se séparer. Complètement aveuglée par la colère, la claque est partie toute seule. Je ne voulais plus rien savoir, juste qu’il disparaisse de ma vue et de ma vie.
Le cœur en mille morceaux et l’envie d’un nouveau départ, j’ai quitté Los Angeles pour retrouver ma famille et Kiara à Hilton, où ils m’ont ramassé à la petite cuillère pendant quelques mois. J’ai eu du mal à me remettre de cette rupture atroce. Je crois que c’était l’une des choses les plus dures que j’ai eu à affronter. Dans mon malheur, ce qui m’a aidé, ça a été de faire la rencontre de Julian. Un beau médecin radiologue qui m’a fait croire en l’amour une nouvelle fois. Ce qui semblait ressembler à une relation « pansement » s’était finalement transformée en quelque chose de sérieux et de solide. J’étais la première surprise, mais ça marchait entre nous.
Alors que j’essayais de me reconstruire et d’avancer, quelques mois après ma rupture avec Aidan, j’ai croisé par pur hasard son père dans les rues d’Hilton. On a échangé quelques banalités, jusqu’à ce qu’il m’apprenne que son fils avait atterri en cure de désintoxication. Complètement surprise, les paroles du père de famille m’avait fait réfléchir. Je n’avais aucune idée qu’il luttait avec des problèmes d’alcool. Forcément, ça me touchait de savoir qu’il n’allait pas bien. Même s’il m’avait profondément blessé, je préférais le savoir heureux et en bonne santé qu’au fin fond du gouffre. À l’époque, j’ai fait ce qui m’a semblé juste et je suis allée le voir, inquiète. Le temps de l’encourager à s’en sortir et de lui dire qu’il aurait pu compter sur moi, s’il m’avait parlé de ses problèmes à l’époque. Cette visite marqua la fin d’une histoire, d’une page qui se tournait…

J’ai refait ma vie petit à petit, près de ma famille et de mes meilleurs amis, auprès de Julian. Les choses s’étaient faites naturellement entre nous, on était bien ensemble et on a fini par emménager tous les deux. J’ai intégré à nouveau une grande firme, où il était dur de faire ses preuves. J’y ai travaillé presque quatre ans, j’ai passé des heures et des soirées à travailler comme une dingue pour me démarquer… sans succès ! Je me suis tuée à la tâche sur la fin, pour avoir une place de collaboratrice qui n’arrivait jamais… quitte à en devenir un peu mauvaise et beaucoup trop compétitive. J’ai mis un stop à tout ça quand j’ai remarqué que ça impactait un peu mon couple. On faisait moins de choses ensemble avec Julian, parce que j’étais toujours au boulot. Le soir, je ramenais des dossiers à la maison et ne le voyait presque plus… alors j’ai préféré partir et recommencer ailleurs. Dans une structure plus petite, avec une ambiance plus légère. C’était Julian qui m’avait poussé à postuler au cabinet de Tyler, un vieil ami du lycée qui venait d’ouvrir sa propre affaire. Il fallait dire que c’était le job idéal et après quelques entretiens, j’ai finalement rejoint les rangs de Scott Office.

Oui, mais sans savoir que j’hériterais d’un collègue que je connaissais bien, même très bien. Je ne l’avais pas revu depuis quatre ans, pourtant Aidan était bien face à moi, et je crois qu’aucun de nous deux n’était préparé à cette surprise. Sous le choc, j’avais presque envie de prendre mes jambes à mon cou… Le destin était farceur de nous réunir, puisque déjà en couple, nous n’avions jamais voulu travailler au même endroit… Force était de constater que nous allions devoir trouver un moyen de faire marcher notre collaboration, même si ce ne serait pas facile de mettre de côté notre histoire personnelle. Une longue discussion délicate s’en était suivie, tous les deux aussi mal à l’aise à l’idée de se voir tous les jours. On avait attaqué dans le vif, pour essayer de mettre les choses à plat et de travailler dans de bonnes conditions. Ça passait forcément par les nombreux non-dits qu’il restait entre nous. Remuer le passé était loin d’être plaisant, mon histoire avec Aidan était une plaie que je préférais ne pas réouvrir… mais il fallait qu’on passe par là pour travailler le plus sereinement possible ensemble. On aborda notamment nos vies amoureuses respectives et les problèmes d’alcool d’Aidan. J’étais heureuse pour lui qu’il ait réussi à travailler sur lui-même et qu’il prenne soin de lui, mais je restais encore amère sur son manque d’honnêteté. Contre toute attente, Aidan s’excusa de m’avoir fait autant souffrir. Ses excuses avaient quatre ans de retard, mais elles étaient tout de même appréciables. Il en venait même à me donner quelques explications, à compléter certains points d’interrogation sur son alcoolisme et j’avais été surprise de la sincérité dont il faisait preuve. J’appris aussi à ce moment-là, qu’il avait perdu sa maman et je ne pouvais que compatir à sa peine. La conversation avait fini par devenir un peu plus légère… comme si l’appréhension de travailler ensemble c’était un peu apaisée une fois l’abcès crevé. Bien sûr, nous ne serions pas obligés de nous côtoyer plus que nécessaire, après tout le métier d’avocat ne signifiait pas travail de groupe, mais l’idée de voir Aidan tous les jours m’angoissait. En tout cas, on promit tous les deux de garder notre passée pour nous, pas sûrs que notre patron voit notre relation passé d’un très bon œil. Quand Aidan sortit de mon bureau, je restais avec l’appréhension d’annoncer ça à Julian et mes pensées avaient divergées tout l’après-midi sur cette rencontre surprenante.

Toujours prudents sur nos échanges, nous essayions de faire marcher cette situation du mieux que nous le pouvions à coup de salutations matinales et d’au revoir polis. Ça ne nous ressemblait pas, parce que j’avais toujours connu un Aidan taquin et léger… mais je commençais même presque à croire à notre entente professionnelle.
Je ne savais pas trop qui on pensait tromper en prétendant que tout allait bien et qu’on arriverait à travailler sereinement ensemble…. notre passé referait toujours surface pour se mettre en travers de notre chemin, même dans une conversation banale. Cette fois, c’était à l’entrée du cabinet, alors que je faisais visiter les lieux à Julian qui était curieux de voir mon nouveau environnement. Je ne saurais dire d’où ça sortait, mais je m’étais entendue faire des reproches à Aidan qui me taquinait, sur sa fidélité en particulier, sur les choses que j’avais eu du mal à accepter dans notre relation. Je devinais que mes reproches avaient blessés Aidan, surtout qu’ils n’avaient pas lieu d’être des années plus tard… J’en étais venue à la conclusion que n’échanger seulement des banalités restait la meilleure solution pour nous deux…

J’avais pour habitude de rendre souvent visite à Julian pendant ses pauses, et un jour, alors que je me baladais dans les couloirs de l’hôpital, je tombais nez-à-nez avec Zoey, la cousine d’Aidan. Nous avions été amies pendant de longues années et même si après ma rupture avec son cousin, nous avions gardé contact, ça ne l’avait pas empêché de mettre de l’huile sur le feu dans notre relation déjà compliquée… elle m’avait accusé de ne pas avoir été un soutien pour son cousin lors de sa cure et ça me rendait folle qu’Aidan n’ait pas dit toute la vérité à sa cousine… Furieuse, j’ai interpellé Aidan le lendemain, à la pause déjeuner, pour mettre les choses au clair. Mais la discussion n’avait pas pris le tournant que j’aurais souhaité. L’explication avait fait des étincelles… Aidan s’était à son tour mis dans une colère monstre et c’était l’heure des révélations. J’appris qu’il ne m’avait jamais trompé, que les soirées qu’il avait passé loin de moi avait été bien moins glorieuses que je n’aurais pu l’imaginer… J’étais restée bouche bée, profondément blessée qu’il m’ait laissé croire toutes ces années qu’il avait été infidèle alors qu’il savait que c’était un point sensible pour moi ! Il avait beau prétendre que c’était pour me « protéger », que la vérité était bien moins belle, j’avais du mal à comprendre son choix ou à le digérer. Ces révélations m’avaient refroidi et ma colère du début était redescendue d’un coup sec. Finalement, il a fallu des années pour que la vérité soit enfin établie et que les choses soient complètement à plat… et j’espérais sincèrement que c’était la dernière surprise que me réservait Aidan. Est-ce que ces explications nous permettraient d’avancer, de faire table rase du passé et de partir sur de nouvelles bases plus saines et… honnêtes ?

Les tensions s’étaient un peu apaisées au boulot, j’appréhendais toute cette situation un peu plus sereinement depuis les confessions d’Aidan… Nos échanges étaient moins sur la réserve et je m’étais finalement habituée à le voir tous les jours au bureau. Je ne savais pas vraiment si nous arriverions à être ami un jour avec Aidan, mais en tout cas nous étions sur la bonne voie. J’avais parfois l’impression de retrouver notre vieille complicité, nos petites taquineries bien à nous et c’était légèrement perturbant par moment. À ma grande surprise, nous avions réussi à collaborer sur des affaires qui nous donnaient du fil à retordre, sans que ça ne tourne complètement à la catastrophe, notre nouvelle entente était mise à rude épreuve. À côté de ça, avec Julian la vie était belle. J’avais même confié à Kiara que je le soupçonnais de vouloir me demander en mariage. Ce serait mentir de dire que je n’avais pas mes craintes à ce sujet, craintes que Kiara avait bien vite dissipé… Nous étions ensemble depuis bientôt quatre ans, et j’avais l’impression d’être dans une relation qui allait quelque part.
Encore une fois, je ne devrais pas parler de mon bonheur à voix haute, car l’univers s’était donné comme mission de me rendre la vie misérable… C’était Zoey, la cousine d’Aidan, qui m’avait empêché de faire un scandale à l’hôpital, me répétant que ça n’en valait pas la peine. Au fond, elle avait raison, est-ce que je me sentirais mieux d’hurler sur Julian et sa pimbêche ? est-ce que ça effacerait ma peine et mon désarrois ? Probablement pas. Convaincue que j’étais bonne pour me faire tromper toute ma vie, j’ai fait ce que je savais faire de mieux : me plonger la tête dans le travail. Je m’enfouissais sous une tonne de boulot, comblant ce nouvel échec par des montagnes de dossiers que je ramenais à la maison pour me sentir moins seule… C’était Kiara qui me sortit un peu de ma misère, en me poussant à sortir un peu plus, à faire de nouvelles rencontres, à me changer les idées… au lieu de rester cloîtrer chez moi. Alors j’ai fini par écouter les conseils de la voix de la sagesse, un soir où j’étais vraiment mal, où je n’avais pas envie de me retrouver encore seule dans mon appartement. Je m’étais dirigée dans un petit bar au centre-ville, je crois que c’était la première fois que je me retrouvais seule au comptoir. Accompagnée d’un cocktail, je noyais mon chagrin, jusqu’à apercevoir la silhouette d’Aidan. D’abord surprise de le voir dans un bar avec ses problèmes d’alcool, je me rendais vite compte qu’il buvait une bière sans alcool. Curieuse de savoir si ce n’était pas trop dur pour lui de se retrouver dans un endroit rempli d’alcool, je lui posais quelques questions. Questions qu’il me renvoya, inquiet de me voir seule dans un bar. Je me voyais mal mentir à Aidan, surtout parce qu'il me connaissait si bien et devinait probablement que je n'étais pas dans mon assiette. Pourtant c’était délicat de lui parler de ma vie amoureuse… mais je lui avais simplement dit la vérité, que je venais de quitter Julian et que je n’étais pas au meilleur de ma forme. Dans un élan de tristesse, je lui avouais même qu’il m’avait trompé et qu’il devait y avoir quelque chose qui clochait chez moi pour que tous les hommes de ma vie aillent voir ailleurs… Contre toute attention, Aidan se retrouva à me réconforter et moi, je me retrouvais dans ses bras. Je m’en voulais de craquer devant lui, il avait bien d’autres choses à faire de sa soirée, mais il insista sur le fait que ce n’était pas de ma faute et que Julian s’en mordra les doigts plus tard, sous-entendu qu’il parlait en connaissance de cause. La conversation avait pris une drôle de tournure, nous faisant repenser à quelques souvenirs très désagréable de notre rupture… nous échangions aussi sur les regrets, mais heureusement toujours avec une pointe d’humour. J’appréciais les efforts et tentatives d’Aidan pour me remonter le moral, même si ce n’était pas en une soirée que mes problèmes s’envoleraient.

Pourquoi ? Pourquoi j’avais raconté à Kiara ma soirée au bar avec Aidan ? Maintenant elle s’était fait des idées, s’imaginant déjà que j’étais en route pour retomber dans les bras de mon ex. J’avais beau lui expliquer que j’avais bien assez souffert par le passé, elle n’en avait qu’à faire de mes roulements d’yeux, persuadée que je devrais passer le moins de temps possible avec lui. Oui, mais ce n’était pas aussi facile quand on travaillait avec cette personne, qu'on la côtoyait tous les jours et qu’on devait se rendre à des évènements communs. Ça l’était encore moins quand on restait coincés dans un ascenseur ensemble… Cette mauvaise blague qui avait un goût de déjà-vu. Sauf qu’avec les paroles de Kiara en tête, et notre dernière conversation au bar, je n’arrivais pas à le regarder dans les yeux et je me sentais extrêmement mal à l’aise d’être coincée dans un endroit aussi confiné avec lui. Finalement, je m’inquiétais pour rien… on faisait passer le temps en se remémorant quelques souvenirs et en plaisantant sur les choses inappropriées qu’on pourrait faire dans cet ascenseur. Comme une partie de strip poker, par exemple… Cette fois-ci, on ne ressortit pas avec une promesse d’un premier rendez-vous, simplement avec une conférence pratiquement terminée.

Je commençais à me remettre petit à petit de ma rupture avec Julian, c’était un peu plus facile de repenser à lui, mais je ne me sentais pas encore totalement prête à voir d’autres personnes. Je me retrouvais célibataire pour la première fois en huit ans et j’avais besoin de me retrouver, de faire le point sur qui j’étais en dehors de mes relations au lieu de plonger directement dans une autre. Au fond, je crois que ça me faisait du bien d’être seule, malgré les blagues de vieilles filles que Kiara faisait…
Si de mon côté je ne faisais pas de rencontres, ce n’était pas le cas d’Aidan. Quelle n’avait pas été ma surprise en voyant Aidan avec une jolie brune devant les escaliers du cabinet, en train d’échanger un baiser. C’était toujours un peu gênant de voir ses ex avec d’autres personnes, même si je ne souhaitais que du bonheur à Aidan. Et ma surprise était aussi grande car je pensais qu’Aidan aimait « batifoler », pas parce que j’avais un petit pincement au cœur devant cette scène hein… Je me retrouvais à juger cette jeune femme et à avoir quelques aprioris sur elle, sans même avoir échangé plus qu’un bonjour… Naturellement je lui avais posé quelques questions sur cette nouvelle relation et la conversation avait déviée sur notre vision de l’engagement et du mariage. Je ne savais pas très bien comment on se débrouillait pour se retrouver dans de tels sujets, mais on mettait les pieds dans le plat à chaque fois.

C’était lors d’une soirée entre copines que je croisais une nouvelle fois Aidan, décidément, il traînait beaucoup dans les bars et l’éviter à Hilton semblait impossible. J’avais été témoin d’une petite scène rigolote — enfin, rigolote dans d’autres circonstances — où il s’était pris les pieds dans un tabouret. Mais en m’approchant de lui et surtout en échangeant quelques mots, je m’étais aperçue qu’Aidan était bien pompette… D’abord déçue de le voir boire à nouveau, l’inquiétude a vite pris le dessus. L’idée qu’il replonge dans ses vieux démons me donnait des frissons. Aidan voulait me faire croire qu’il contrôlait la situation, comme si les problèmes avec lesquels il avait bataillé toute sa vie avaient soudainement disparu… J’essayais par tous les moyens de le raisonner, mais il restait sur ses positions, c’était comme parler à un mur… Il me disait qu’il gérait complètement, qu’il savait ce qu’il faisait et que quelques verres n’étaient rien d’insurmontable. Autant dire que je ne croyais aucun mot de ce qu’il disait, aussi persuadé qu’il soit. Son déni ne faisait que m’inquiéter davantage, mais je n’avais pas le droit de lui dire comment vivre sa vie… c’était un peu malvenu de ma part.
J’aurais pourtant préféré avoir tort… j’aurais préféré qu’Aidan contrôle la situation comme il le disait, j’aurais préféré ne pas le voir complètement perdu, une bouteille de whisky à la main dans ce parc…